Mes pas tassaient les feuilles multicolores dans un crépitement de friture. Pourtant je crus qu’absorbée par sa peinture, la jeune femme devant la maison ne m’avait pas entendu arriver. Je me glissai à plat ventre derrière la bâche de la piscine pour l’observer tout à loisir. Elle portait une blouse ample à carreaux noirs et blancs, avec un col Claudine et des manches ballon. Je pouvais enfin la contempler longuement. Elle avait un pinceau dans une main, sa palette dans l’autre. Elle semait des pigments sur la toile, croquait des arbres et leurs feuilles clignotantes, des nuages imbibés de caramel comme si quelqu’un là-haut faisait fondre du sucre au soleil. Elle les clouait avant qu’ils n’emportent leur secret de lumière. Elle avait un coup de pinceau large et précis, rapide, ne s’attardait guère, remplissait la toile dans sa hâte de tout capter, tout saisir. Elle s’interrompit un moment, recula.
Elle enveloppa du regard le jardin devant elle, le portail forgé en arc de cercle, les noisetiers autour. Elle avait esquissé sur la toile un héron de pierre perché sur un socle circulaire entouré d’un grillage. Il se tenait à sa gauche dans l’herbe, les pattes jointes et droites, l’œil vide, le bec dressé à la verticale du corps. Elle effleura d’un œil distrait, la terrasse et le perron de la maison à sa droite. Puis elle se remit à emprisonner des couleurs sur son carré blanc.