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3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 10:00

Thème du défi 93 chez Jeane Fadosi : les âges de la vie.

 

Deux-sous-le-parapluie-001.jpg


Parfois le hasard voue joue des tours. Nous nous  sommes reconnus sur un site de retrouvailles, il s’appelle Jean Marc et sa mère avait été mon institutrice de maternelle à Casablanca, à l’école Mers Sultan. Mes parents me conduisaient régulièrement dans une petite villa sur les hauteurs dans un quartier débaptisé aujourd’hui, mais je me souviens qu’à l’époque, c’était rue de Jussieu. Le rituel était toujours le même, après une grenadine et deux tartines de pain à la confiture rapidement avalés dans la cuisine, nous construisions une cabane dans le jardin, chez Jean Marc. Nous jouions au papa et à la maman, très chastement, je vous vois venir, petits filous ! La seule marque de tendresse qu’il s’autorisait était un petit mot tendre : « ma caille », une expression sans doute empruntée au vocabulaire de ses parents. Parfois nous fabriquions des médailles en cartons, que nous nous décernions au terme d’épreuves olympiques et sportives organisées le plus sérieusement du monde.

Et là, Jean Marc reparaissait dans ma vie, tous ces souvenirs déterrés comme des médailles. Nous avons commencé à nous raconter nos vies banales. A égrainer nos souvenirs, les siens, les miens un peu différents, moins aigus, je suis plus jeune que Jean Marc, mes images sont floues. Nous avons évoqué nos parents, les camarades d'école de l'époque, le Maroc hier et celui d’aujourd’hui. Sur le net, les mots viennent aisément, comme des sourires, ils se déguisent, se mettent en valeur, fanfaronnent. Ni lui ni moi n’avons posté de photo de nos visages de quinquas. Aujourd’hui un petit garçon blond de neuf ans correspond avec une gamine frisée de sept ans. Quand je dis correspond, je dois rectifier, nous avons échangé deux messages en tout et pour tout. Nous nous sommes promis de nous rencontrer, si nos voyages nous conduisent, chacun, à l’autre bout de la France. Cela a même failli se produire, mais à la dernière minute, Jean Marc s’est décommandé, un décès dans sa famille. J’étais soulagée, je l’avoue. Je n’ai pas envie de confronter mes souvenirs au présent. Il ne me plairait pas que ce petit garçon de neuf ans me dévisage comme si j’étais sa grand-mère. Il ne me plairait pas d’écarquiller mes yeux d’élève de CP devant ce monsieur d’âge respectable. Laissons une chance et une place à nos souvenirs

 

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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 08:00

 

Inspiration libre chez Lilou-Fredotte pour ce défi 92, à partir du tableau de Chagall : La cuillerée de lait. Avec pour consigne de placer les mots : binocle, bonzaï, bénévole, bistrot, barrir, dans le texte.

 lait.jpg

 

Je m’étais arrêtée devant,  car ce n’était pas un tableau que j’avais sous les yeux mais mon existence tout entière. Une vie passée à le servir, à tendre la cuillère sans gémir, jamais. Jouer les BENEVOLE, gentille femme dévouée, n’attendant rien en retour, pas même un peu de tendresse. L’écouter BARRIR à longueur de journée, me critiquer, m’avilir et supporter ses écarts de langage. Je ne voulais pas m’avouer que l’amour n’était pas là. De sa part je savais, ce n’était pas ça aimer. Mais moi, j’éprouvais-je en réalité ? J’étais comme effacée, dissoute, je n’existais pas. Je n’étais qu’une annexe, la part d’ombre sur laquelle il déchargeait tout ce qui lui déplaisait en lui. J’étais cette paysanne en fichu, laide et vieille. Il ne me manquait plus qu’un BINOCLE pour parfaire le portrait. Quoique, cela peut sembler étrange, mais ce tableau m'avait fait recouvrer la vue. Car lui, ce personnage aux yeux baissés pour ne pas rencontrer mon regard, faussement absorbé par sa lecture, qu’attendait-il en réalité ? Que je sombre et tente de me suicider ? J’aurai pu être un BONZAI, aux branches finement travaillées, posé sur son bureau. Une jolie plante dont il aurait massacré les feuilles avec plaisir. Avant de quitter l’appartement, pour prendre l’air. Il aimait ce mot, prendre l’air, comme si s’enivrer au BISTROT du coin, signifiait oxygéner ses poumons.

Ce tableau était une sorte de déclic, un signal. Comme des crampons que l’on chausse avant de les bloquer dans des starting blocks. J’avais tout l’avenir à parcourir, le monde à découvrir. Je fis mes valises le soir-même.

 

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17 octobre 2012 3 17 /10 /octobre /2012 10:00

 

 

Selon la consigne 2, proposée par ABC sur son blog.

2) Extrait du livre "Chronique de la dérive douce" de Dany Laferrière :

"Chaque fois que
Je tiens un livre
dans ma main
je me sens rassuré
sachant
Qu'à tout moment
Je peux m'asseoir
Sur un banc et
l'ouvrir"
Laissez-vous imprégner par cette phrase et écrivez ce qu'elle vous inspire...

 

 lecteur

 

Chaque fois que je tiens un livre dans ma main, je me sens rassuré. D’habitude, ça marche. Un livre c’est comme de la peau qu’on touche, c’est chaud vivant. C’est l’interlocuteur, l’autre avec des pages de vie déroulées, que  j’apprends à  connaître. Il devient compagnon, je me permets de le bousculer, d’écorner ou de plier des pages. Ou alors je le respecte, il est beau, précieux, sacré. Il fait corps avec moi, toujours, le temps de la lecture. Il parle mon langage et je me sens conforté dans mes idées. Ou il me secoue, m’invite à la tolérance, à l’échange, au refus parfois.

 

Mais depuis que je fais la lecture à cette femme, assis au pied de son lit, le livre me semble bien inutile. Je ne comprends plus ce que mes lèvres prononcent, tant mes yeux se fixent malgré eux sur les siennes, entrouvertes. Je ne sais pas si elle écoute, si elle entend, si ça lui fait du bien, ce débit lent et monotone. Je suis payé pour qu’elle perçoive du bruit. Je n’ai pas reçu de directives. On m’a dit, lisez n’importe quoi. La bibliothèque n’est pas celle de Quichottine, éclectique, variée. Mais j’ai choisi Saint Exupéry, Vol de nuit. J’ai pensé que cette femme aimerait voler, dans sa tête. J’ai pensé que même une phrase comme « des nuages lourds éteignaient les étoiles », illuminerait la nuit dans laquelle elle se tient.

 

Elle a une respiration hachée qui s’emballe dès que je baisse la voix et reprend un rythme régulier quand je recommence à lire. C’est comme un petit orchestre dont je serais le chef et elle l’instrument de musique. Et dont la partition se déroule au travers des mots. Je m’aperçois avec le temps, que nous  deux ça fonctionne. Nous sommes une entreprise, nous créons des mélodies sur des phrases. Quelque chose flotte dans l’air qui rend les rideaux moins poussiéreux, et laisse entrer le soleil. Au fil des jours, nos sourires se rencontrent posés sur des mots, bien qu’elle ait les yeux fermés. Ses joues rosissent, ses mains tremblent un peu sur le drap. Je sais qu’elle savoure l’heure que je passe auprès d’elle. Elle réalise qu’elle n’est pas l’unique bénéficiaire de ces tête-à-tête. J’ai de la chance, je peux à présent m’asseoir sur un banc, seul, ouvrir ce livre à tout moment, et entendre notre musique.

 

 

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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 10:00

Voici ma participation aux textoésies de Suzâme dont le thème est : Naissance…un cri, une vie, un être.

 

 

20-juillet-2012-2498.JPG

 

Il y a des rencontres qui parfois nous surprennent

Le hasard, un contexte, un ailleurs déroutant

La chaleur, la moiteur, un décor envoûtant

Nos désirs  ne sont plus de stériles rengaines.

 

Il suffit d’un parfum ou du chant d’une aigrette

Du souffle chaud du vent le matin dès l’aurore

Et le cœur s’emballe,  et le corps entier d’éclore

Car la vie qui s’y installe, autrement, pour la fête

 

En l’âme exaltée enfle  un écho troublant

C’est un regard critique que l’on pose sur soi

Et l’être alors s’éveille, s’ébroue, donne de la voix

S’époumone et s’agite, comme  fait un enfant.

 

S'époumone et s'agite comme naît un enfant...


 

 08-03-2012 3099

 

 

 

 

 

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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 10:00

 

Elle avait saisi son sac ce vendredi dix-huit novembre. Je lui avais emboîté le pas, je désirais tellement la convaincre de rester, ou de revenir, ou de m’appeler. Me précipitant à sa suite, j’avais coincé mon pied  dans la porte de l’ascenseur. Prendre l’ascenseur alors que j’habitais au premier ! Moi, je préférais les escaliers.  Pour elle c’était une habitude, elle n’y pensait pas. Elle  avait jeté son sac à terre, s’était tiré les cheveux à se brider les yeux. Elle s’était massé les tempes,  avait sifflé entre ses dents : « Je ne veux plus te voir, tu comprends, je n’en peux plus. »

dispute.jpg

 

Elle souhaitait gagner le rez-de-chaussée mais j’avais le pouce sur le bouton d’ouverture de la porte et mon bras l’empêchait de sortir. L’ascenseur s’ouvrait, se refermait. Nous tournions en cage, comme  une mangouste et un serpent. Elle était le trigonocéphale, elle ondulait, mes dents ne lui faisaient pas peur. Elle m’inoculait son venin paralysant et mortel. J’avais le museau tendu, l’œil rond, je subissais. Je n’avais pas esquissé un geste pour  me défendre. Son mascara coulait le long de son nez ainsi que sur mes mains levées vers elle. Elle s’agrippait à moi, me repoussait puis se collait contre les parois de la boîte métallique. Elle piaffait. Ses trépignements se répercutaient le long de la colonne.

« Mais pourquoi, pourquoi… bredouillai-je. 

- Laisse-moi,  Marc, s’il te plaît, laisse-moi… »

Nous avions des rimes pitoyables.

Et ce fut l’obscurité. Elle me donna le dos, elle se mit à pleurer doucement. Ses épaules tressautaient, la boucle de son ceinturon éraflait la peinture de la cage. Nos reniflements marquaient le silence. Nous étions hagards, débraillés, sentions le whisky et la cigarette. Je réprimais un frisson. 

La lumière nous surprit subitement, l’ascenseur descendit tout droit vers les parkings. Nous nous raidîmes comme des coupables à l’énoncé d’un verdict. D’instinct je marchai en titubant  vers ma voiture, elle me suivit sous l’œil inquiet d’un couple qui montait vers les étages. Et je ne sais plus…

 

Un détail me revient à l’esprit. Avant de la courser, j’avais retourné la seule photo que je possédais et qui nous représentait ensemble. Je l’avais retournée contre la tablette du téléphone. Avais-je senti combien cette poursuite était vaine?     

 

 

 

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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 08:00

 

Le défi 83 est cette foi lancé par M'Annette:  En voiture, l'orage, la panne entre Bonifacio et Ajaccio. Pourqui suis-je partie seule?

tn--1-.jpg

 

Bonifacio imperturbable offrait son sourire de craie à la mer. En quittant la ville je ressentais déjà la peur de Jonas. Je me doutais que le ventre de la baleine était inconfortable. Le ciel obscur au loin, me parut inquiétant telle une grande bouche ouverte. J’étais happée dans un long tube digestif dont le nom  officiel « N196 »,  ne m’inspirait guère plus que les mots trachée ou estomac. J’effectuais ce trajet seule pour oublier je ne savais quelle histoire. Avec le désir de m’évader d’une vie qui devenait enfer.

 

J’arrivais à Sartène sans dommage. Un ciel d’orage, une cité typique. Une citadelle, des églises, un dédale de rues entre ville haute et ville basse. Sur la place, des grands-pères appuyés sur leur cane avec aplomb semblaient préserver l’endroit des désordres climatiques. J’entendais gronder la montagne et ronfler la ville. L’une s’insurgeait, l’autre ricanait tendrement. Comme on apaise un « fou pas dangereux ».

 

 olmeto.jpg

 

La pluie se mit à tomber en gouttelettes innocentes et molles, lorsque je  grimpais dans la montagne. Plus je m’enfonçais, plus je devenais minuscule comme érodée par la route. Engloutie par la roche dégoulinant sur le bas-côté, et luisante à présent. Qui dessinait des faces de singes, des oreilles dressées, des gencives retroussées sur des dents menaçantes. Assombrie et éclairée tour  à tour par de gros nuages mamelonnés et des zébrures, des éventails de lumière éblouissante. L’eau se mit à marteler la voiture et le sol, comme autant de pieds foulant la terre. Je me sentis téléportée  en Guadeloupe un bref instant,  sur la Route de la traversée percée par l'orage, dans un vacarme assourdissant. Touffeur et pesanteur. La montagne perdait ses contours, de l’eau bouillonnait par ses flancs, se déversait sur la route. J’étais comme digérée par un long boyau tapissé  d’un enduit grisâtre et constitué de roche orangée, de boue, d’arbustes, de bouleaux et de pins. Je m’arrêtai avant Olmeto, haletante. La voiture refusait de poursuivre. Je perçus la plage en contrebas, comme une invite, un bijou circulaire, à l’éclat magnifié par l’orage. Hypnotique. Puis il y eut un claquement sourd. Une branche vola sur le pare-brise. Une feuille détachée se colla sur la vitre comme se pose une main. Et je vis ses yeux bleus, sa bouche rose, ses dents couleur d’émail. Longiligne, fière. Inquiète et ruisselante aussi. Colomba semblait dire : laissez passer les secours, laissez passer les secours…

 

Paris vingt heures, porte des Lilas. Devant moi un panneau publicitaire alléchant : la Corse, enchantement et dépaysement. Au carrefour un bazar monstre, ça n’avance pas. Dehors, la pluie incessante, aveuglante. Miracle, le camion des pompiers dérange cet enchevêtrement  roue contre roue. J’écoute FIP, au programe interrompu par le message des secours. Et je m’extrais d’un songe éveillé, bricolé à partir de vacances de l’an passé et de divagations personnelles.

 

 thumbnail--1-.jpg

 

 

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31 mai 2012 4 31 /05 /mai /2012 09:42

Voici ma participation au sujet de la quinzaine de Miletune, d' après un tableau de Nils Dardel

 

dardel.jpg

 

 

 INCANDESCENCE

Au premier coup d’œil, cela me parut un détail. Mr et Mme S. habitaient une  villa dans les hauteurs du XIXème arrondissement de Paris. Une de ces belles qui embaument le lilas et les glycines. Qui cachent leurs rides, leurs rhumatismes et leurs petits vieux au pas hésitant. Depuis le seuil, dans l’entrée on apercevait le tableau sur le mur devant soi. C’était instinctif, on se hissait sur la pointe des pieds, on se poussait de côté, on regardait sous le bras du propriétaire qui se tenait sur le pas de la porte. Mr S. ne s’étonnait plus. Il me regarda onduler, comme tous les serpents qui lui rendaient visite. Puis il s’écarta, tenta de soulever le sac que je portais. Et accepta que je le porte à l’étage. Je marquai un arrêt devant ce portrait de famille aussi insolite qu’un rossignol s’époumonant dans le château de la belle au bois dormant. Il habitait le mur, le papier autour était fin, plissé et délavé comme si quelqu’un l’avait léché. Les murs prenaient la poussière, une araignée étalait son talent d’artiste. Mais sa toile s’arrêtait au-dessus du cadre. Car l’oeuvre rutilait. On entretenait les couleurs et le vernis.

Je ne saurai dire quel personnage m’intriguait le plus. Le père, imposant, barbu, me fixait méchamment comme pour m’anéantir. Je réalisai que sa chemise rouge m’avait suggéré l’image du rossignol. Ce qui me le rendit sympathique. Il n’était pas menaçant, tout compte fait, mais protecteur. Ses enfants l’aimaient, ils formaient une chaîne à son bras. Un courant d’électricité continue qui partait de la fillette au nœud sage vers l’adolescent fier, adorateur. Les jeunes enfants au premier plan constituant un fil conducteur.

-         Il vous plaît? demanda Mr S.

-         Beaucoup, répondis-je.

Mme S. à l’étage eut un gémissement qui effaça le sourire à ses lèvres.

-         Permettez, dit-il, en grimpant les marches avec difficulté. Posez ça dans l’entrée. L’infirmière va arriver.

Mais je le suivis dans la pénombre. Les volets  étaient fermés, une odeur d’éther et d’urine imbibait le salon. Des cartons de médicaments s’entassaient sous la table basse.

-         Voilà, vous pouvez-vous débarrasser. Je reviens, excusez-moi, ma femme vous comprenez…

Depuis le haut de l’escalier, je ne pus m’empêcher de me retourner, comme aimantée par la toile. Je ne distinguais plus les visages, uniquement des touches de couleurs, bleu, vert, violet, jaune. Comme si l’on avait posé un arc-en-ciel sur le mur. Comme si la lumière me jouait un tour. Mes yeux s’habituaient à l’obscurité qui  finit par me sembler indispensable. Cette maison dépendait des ombres et du tableau. Il était la source d’énergie. Il était les rires, les chants, les rondes et les comptines. Il était la famille, l’avenir, la chaleur et l’amour. Il était la vie.

-         Je vous raccompagne, dit M. S en me rejoignant. Attention au tableau en descendant, le couloir est si petit que parfois on le heurte de l’épaule. Et j’y tiens vous savez. C’est un cadeau de ma belle-fille. Elle a peint  les membres de sa famille. Juste avant l’accident….

La voix chevrotait, et la main tremblait. Pourtant l’œil happé par la toile avait l’incandescence d’une braise.

 

 

 

 

 

 

 

 

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30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 08:00

 

Pour répondre au défi 80 lancé par Hautefort, concernant le blog mystère:

 

C’est un petit blog malicieux et curieux. Il s’invite le soir, l’air de rien. Sur le pas de sa porte, chacun regarde la montagne.  Le soleil donne vie à la roche qui rosit par endroits. Les plus tenaces croient distinguer un profil humain sur un écran bleu scintillant, dernier spectacle avant la fuite du jour. Tous aux alentours connaissent cette curiosité. Les enfants particulièrement entendent son rire. Une voix étranglée comme une bonne blague. Ils imaginent une bouche ouverte sur de grandes dents, une gouaille communicative à la Fernandel. Ils grandissent avec cette voix ans la tête. On ne peut couper le son, barrer le haut-parleur d’un sens interdit. Le visage leur est familier, très doux. Observer ce profil, le soir avant d’aller dormir, est une promesse de sommeil sans nuage. Mais les adultes sont moroses, ils attendent le grand homme dont le profil se dessine sur l’écran, et son blog les agace. Il n’affiche rien, ni texte, ni photo, ni lien vers un site ou un autre blog. Aucun tag, ou avatar, pas de date de création. Aucune mise en page ou design.  A quoi sert ce visiteur imposé qui n’ouvre pas sur le monde. Ecran bleu scintillant, rire tonitruant, basta.

 

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Le nombre de visiteurs s’affiche régulièrement chaque soir, quand la lune pose son croissant au-dessus de la roche. L’hébergeur aussi, l’adresse IP, le flux RSS… Un blog incontestable, tenu régulièrement.  Rémi a dix ans, il espère rencontrer le monsieur, pour de vrai un jour.

 Le temps passe, les mois, les années. Rémi devient un adolescent impatient. On lui apprend que l’homme du blog dans la montagne vient d’arriver au village. Il porte de riches atours, roule dans une voiture puissante, arbore une mine  fière et méprisante. Il s’étonne que les autres voient en lui le sauveur. D’antant que le blog mystérieux continue d’illuminer la montagne. Comme si la prophétie n’était pas encore réalisée. Et l’homme s’en va comme il est venu, impérial, dédaigneux. On se remet à parler du sauveur, à scruter le blog au profil crépitant dans la nuit. Alors surgit un petit bonhomme rondouillard à lunettes dont le rire rappelle vaguement celui du profil. Le sauveur, enfin ! Rémi doute toujours, il est adulte maintenant, le blog ne l’impressionne plus. Mais l’espoir est toujours là, tapi en lui.  

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Rémi a cinquante ans. Il a beaucoup voyagé mais est toujours revenu vers la région de son enfance. C'est aujourd'hui un homme sage, patient, disponible. Des sauveurs, il en vus, enthousiastes, fatigués, énergiques, coléreux… Et le blog, impassible continue de défier la nuit. Quoique, insensiblement le visage se tourne, on aperçoit les yeux, le nez, la bouche de face. L’image est encore floue. Rémi comprend que le grand jour n’est pas loin. Il décide de contacter ce mystérieux personnage. Un soir le miracle se produit. Dans sa boite mail, il y a un nouveau message de : « la montagne en face ». Des villageois se rassemblent devant chez lui, au pied du rocher. Ils écarquillent les yeux :

-         Là, sur l’écran, c’est Rémi, mais oui, c’est lui, c’est notre sauveur !

Tout le village vient l’arracher à son clavier, on l’embrasse, on le félicite. Son visage lui sourit, irréel. Mais lui peine à se reconnaître et « garde la conviction qu’il viendra un jour un homme plus sage et meilleur que lui où revivra la grande figure de pierre sculptée par le blog à l’image de l’homme attendu ».

 

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Je me suis inspirée d’une nouvelle de Nathaniel Hawthorne, écrivain américain, (1804-1864) : LA GRANDE FIGURE DE PIERRE. J’ai repris la dernière phrase telle quelle, à part le mot blog, bien sûr. Et l’actualité m’a été  d’une aide précieuse.

 

 

 

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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 10:00

J'ai repris un texte paru il y a quelques années dans la communauté "écriture ludique" avec des consignes d'écriture précises. Je trouvais qu'il se prêtait bien au casse-tête cette semaine chez Sherry: Portes et accessoires.

 

Il s'agit d'écrire à partir de l'image suivante avec la condition supplémentaire d'utiliser les 10 titres suivants, qui correspondent à des chansons de Michel Jonasz :

  1.                                                          
    Que feriez-vous devant ces deux portes ?
    Quelle histoire se trame derrière peut-être ?...
    A vous de le narrer...comme bon vous semble !
    A chaque saison qui passe                                                               
  2. C'est ça le blues
  3. Changez tout
  4. De l'amour qui s'évapore
  5. En v'la du slow en v'la
  6. J'veux pas qu'tu t'en ailles
  7. 25 piges dont 5 au cachot
  8. La vie sans mort
  9. Le cabaret tzigane
  10. Y a rien qui dure toujours

 

Ils sont entrés et se sont assis l’un en face de l’autre tout contre la vitre. Ainsi ils peuvent faire semblant. Etre ensemble et s’échapper. Affronter ce tourbillon dans leur tête. Le rendez-vous de la dernière chance. Ils entendent toutes les conversations, les sonneries de portable, les exclamations des voisins. On parle de détresse, de coup de poing, de dépression. Tout pour parfaire l’ambiance. Il a envie de bâcler, se débarrasser, partir. Elle souhaiterait comprendre, recommencer, bâtir. Supplier : j’veux pas qu’tu t’en ailles ! Il y a  des mots qui pourraient jaillir et qu’on ne veut pas prononcer. Des mots blessants de désamour, des mots criants, à toi pour toujours. Un rayon de soleil cogne au carreau et se blottit entre eux, ose une caresse sur leurs doigts gelés. Un pauvre signe de tendresse. Lui écarte la main, agacé. Elle retourne la sienne, paume ouverte et s’offre à la chaleur. Le garçon aimerait bien prendre la commande mais un mur impalpable le tient en respect. Un mur de rancoeurs, de mensonges, de trahisons. C’est de l’amour qui s’évapore, et paradoxalement peut-être, le seul moment où ils se sentent complices, elle et lui. C’est ça le blues. Ils ébauchent un sourire, un peu de l’un vers l’autre, un peu dans le vide. Ils s’amusent de l’embarras du serveur. Il est si jeune, que sait-il de l’amour ?

 

Une fille s’arrête devant eux, regarde le menu sur l’ardoise. Elle est belle, elle est rousse, elle est jeune. Est-ce qu’elle lui ressemble, la remplaçante. C’est quoi se faire plaquer pour une plus jeune quand on a trente ans. Et qu’il a trente ans. Il aime les gamines, celles de dix huit ans ? Ou alors il en veut une comme celle-là, vingt deux, vingt cinq piges dont cinq au cachot. Au cachot d’une vie sans lui, bien sûr, il est tellement merveilleux ! Dire qu’il y a tant de souvenirs à entasser dans un carton. Cold case, affaire classée.

La fille porte un blouson imitation peau de mouton, un jean trois quarts, qui s’arrête juste au-dessous du genou, et des chaussettes en dentelle, des petites ballerines de danseuse, style Repetto. Une femelette, un bout de femme, pour un homme pas tout à fait accompli, pour un fuyard. Elle n’arrive pas à se dire que c’est un connard.

Ils s’étaient connus au lycée, en face. Ces deux portes massives séparées par une colonne mais ouvrant sur une seule cour, bruyante. Deux sésames libérant leur flot d’élèves tapageurs et insouciants. Eux avaient appris à s’aimer quand l’amour se vivait sans projet, et qu’à chaque saison qui passe, ils s’étonnaient de durer. Aujourd’hui, lui vogue déjà vers d’autres horizons. Son portable sonne, il ne veut pas répondre devant elle. Il regarde la salle et les femmes aux autres tables. Elle ne  veut pas tourner la tête, elle sait. Il y a de l’électricité dans son regard d’homme, de l’insistance, du feu.  Elle a une boule au ventre, des mâchoires lui dévorent les intestins.

Il va hurler : changez tout, je veux la vie sans mort ! Sans toi. Elle n’aura pas la force d’entendre ça. Elle devine qu’il reviendra car il tente, c’est involontaire de l’apaiser. Une caresse sur sa joue, un geste en direction de sa cuisse.  Cet effleurement lui donne la nausée. C’est comme si elle avait avalé un poisson entier, gluant, gigotant. Elle esquive. Elle va se lever et le laisser là avec sa mauvaise foi et son égoïsme. Quand le temps des regrets viendra, il tentera de l’inviter dans le cabaret tzigane  où ils célébraient tous leurs anniversaires. Il sera trop tard.

Le serveur arrive, tout de noir vêtu, il est jeune, il sourit, il blague. Assurément, avec son cœur en clafoutis et ses yeux en marmelade elle lui plaît quand même. Alors elle se dit que tout n’est pas foutu, en v’la du slow en v’la. Si elle s’interdit de penser qu’y a rien qui dure toujours, peut-être qu’un autre saura.

 

 

 





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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 10:00

 

ATTENTION CECI EST UNE PURE FICTION ! C’est un extrait d’un court roman que j’ai écrit il y a quelques années.

 

La  villa avait été le cloître de mon enfance érémitique. Je me remémorais la maison délabrée aux allées en béton, le carré de gazon où l’on installait ma piscine en plastique. L’eau claire des premiers jours faisait place à une pellicule d’insectes morts, de feuilles et de fleurs en décomposition sans que personne ne songe à la changer, malgré les rougeurs et les boutons qui me couvraient le corps. Il y avait la course d’un lézard au soleil le long d’un mur au crépi fendillé, la table de ping -pong sans  les balles que l’on m’avait confisquées  car  je les perdais toutes, les raquettes inutiles. Il y avait un vélo au sous-sol mais je n’avais pas le droit de sortir et personne ne voulait m’accompagner en promenade. Il y avait aussi les rosiers sauvages aux fleurs outrageusement ouvertes, au parfum sucré, écœurant qui me faisaient  pourtant saliver car elles m’évoquaient des gâteaux orientaux. Je me souvenais d’un pied de romarin qui fleurait bon la garrigue, d’un nain de jardin qui ronchonnait avec bonhomie et auquel je lisais des bandes dessinées.

 

 

 

jardin-abandonne.jpg

 

C’était le seul endroit où je pouvais me blinder. J’y éprouvais une paix, une sensation extraordinaire de temps hors du temps,  de bonheur suspendu. J’avais l’impression d’évoluer en dehors de moi, de délayer ce qui me fait souffrir, et de me créer un quotidien supportable. J’y oubliais que non seulement mes parents avaient leur monde et leurs projets dont j’étais exclu sauf lorsque je devenais l’objet de leurs chantages, mais qu’ils ne permettaient pas que je recherche la compagnie d’autres personnes, la présence d’amis authentiques, une vraie qualité d’échange.


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