Nous avions décidé de visiter l’exposition Helmut Newton le 22 juillet. Il faisait beau, l'exposition s'achevait le 30, des arguments qui se valaient. Et compliquons-nous la tâche, c’était l’arrivée du tour de France. Plus évaporés que ça, tu meurs! Juste derrière le Grand Palais, un bazar de grillages, barrières, barricades en plastique. Un brouhaha de paroles mâchées dans des hauts parleurs, langues baragouinées avec enthousiasme, drapeaux haussés par des Marianne en short ou roulés sur le torse. De la couleur, de l’imprévu, un événement, de quoi shooter sur le vif.
De quoi entrer dans l’univers d’un photographe par la petite porte. Helmut Newton, c’est un nom célèbre, une légende. Je n’avais que ces indications-là. Naissance à Berlin en 1920, a fui le régime nazi, a voyagé, Australie, Etats-Unis, Grande Bretagne. Et puis le choix définitif, la France et Monaco. Une épouse dévouée, organisatrice de l'exposition, célèbre aussi sous le nom d’Alice Springs.
Je connaissais sa Catherine Deneuve, et quelques grands noms de sa mode comme Inès ou Kate. C’était beau, lisse, chic. Des images pour glacer le papier épais des magazines qu’on feuillète chez le coiffeur. Grâce à lui les couturiers faisaient la roue dans Vogue. Il envoyait des stimuli hauts de gamme à des mâles raffinés et en rut. Il prônait l’extravagance, la démesure, comme tous ceux qui souhaitent qu’on parle d’eux. Helmut ne m’était pas accessible, ne me touchait pas, n’était pas de mon monde.
Et j’ai découvert un petit monsieur charmant, rieur, un rien cabotin. Très proche de vous, de moi. Il ne fallait pas rater le film projeté au cours de l’exposition. Qui renseigne sur l’homme et sur son travail. Ce regard incisif sur les corps, cette matière, la chair, cet outil. Le besoin de femmes à charpente musclée, au look androgyne ou totalement sexué, décomplexé. La force qui se dégage de ces photos, de ces mouvements à l’arrêt. On croit voir des cuisses s’écarter, les mains caressent, les seins provoquent, se tendent, détachés du corps. Helmut, c’est Degas, un siècle plus tard. Ce même intérêt pour la nudité, que les corps soient dévoilés ou habillés.
Lorsqu’on ferme les yeux dit-il et qu’on les rouvre ensuite, on perd tout ce qu’on avait dans la tête. Lorsqu’on obture l’objectif, un millième de seconde, il restitue tout sans tricher, dans la netteté, dans la vérité du photographe. « Ce n’est pas toi, que je veux montrer, c’est l’idée que j’ai de toi ».
J’ai fermé les yeux pour continuer ma balade chez Helmut. Quand je les ai rouverts, il était à mes côtés, il me donnait une petite tape sur l’épaule. Arrête-toi là, cette femme ficelée, ses gants en latex, ce portrait de Mr Le Pen avec ses dogues, célèbre pour de mauvaises raisons, est-ce que ça te dérange ? Parce ce que j’ai toujours des menottes, des chaînes, des cordes dans ma voiture, ce sont des outils de travail. Je ne me soucie pas du convenable, du conforme, je veux interpeller.
Observe ma Léni Riefenstahl, le visage de la vieillesse, sa noblesse, sa hideur ! Concentre-toi sur cette main, ces doigts boudinés, l’argent, le vernis, la pierre. Demande-toi ce que je veux exprimer ! Prends le temps, regarde mes Saint Laurent, Mugler, Chanel, n’y a-t-il que du luxe, de la préciosité, de l'exceptionnel? N'y a-t-il rien qui te touche, toi dont l'univers est tellement loin de tout ça. Ca peut être la fille, le tomber du vêtement, l'amorce d'un geste, une attitude, fierté, modestie, arrogance. L'arrogance chez l'autre, a quelque chose d'insupportable, d'admirable aussi qui paralyse. J'avais toujours pensé ça. Là, on me le montrait, c'était palpable. Et sa voix à lui, cet accent délicieux. Quand je fabrique des situations loufoques, femme mangée par un crocodile, Walkyrie, nu contre un réfrigérateur, suis-je dément ou créateur ?
Vous êtes un artiste, Mr Newton, définitivement. Il y a votre style qui fait votre renommée. Il y a votre travail, votre influence. Et votre oeil, votre profondeur, votre sens de l'humour, de la dérision, des couleurs, des profils, des contrastes... Si j'arrêtais...
Là c'est moi dans la galerie, et mon mari n'est pas Helmut Newton!